LOUVAIN

ravenstraat

C’est un soir d’octobre, à Louvain.

Des étudiants marchent à pas pressés, des garçons et des filles, certaines très belles, pour ce qu’il peut en voir.

Sa voiture glisse lentement dans l’obscurité, parmi les vélos.

Il tourne à la recherche d’une place pour se garer. Il s’arrête Ravenstraat. C’est une longue rue étroite, bordée de petites maisons ouvrières

Il a envie de marcher. Les rez-de-chaussée sont éclairés ; à travers les rideaux mal accrochés, on voit l’intérieur des maisons. Un lit, une armoire, une chaise, une table, des livres, déclinaison monotone des chambres d’étudiants.

Quelques bistrots peuplés de jeunes gens chaudement vêtus, buvant de la bière et des limonades.

Les souvenirs de ces années reviennent, et avec eux une tristesse dévorante, nouvelle, inconnue jusqu’alors.

Les jeunes gens rieurs dans les cafés, les pauvres meubles, les bicyclettes, les nuits solitaires dans ces chambres étrangères, le cinéma du vendredi soir, les auditoires encombrés, tout cela lui apparaît aujourd’hui comme un exil, un bannissement.

Il entend monter le désespoir criant de ces enfants, alors qu’eux-mêmes ne sont déjà plus en état de le percevoir…

Il se souvient des baptêmes, des beuveries, des cortèges, des carnavals, de tous ces massacres rituels de l’innocence, et de l’application que chacun y mettait à tuer ce qui lui restait de candeur.

Et de tout cela, qui lui était apparu jadis comme une fête, comme un printemps, il ne reste plus que des fantômes de gosses oubliés, errant à la recherche d’eux-mêmes, perdus, trahis, dans une frileuse soirée d’octobre.

Et la ville entière se peuple de ces petits spectres, elle en est la terre d’exil, concentration critique d’âmes enfantines abandonnées.

Il entre dans un café. Il a sur la joue gauche une fine traînée de sang, comme un stigmate de ses propres crimes.

Tous les jeunes gens attablés ont des regards enfiévrés par l’oubli et par l’ignorance.

Alors, une fois encore, il s’enivre parmi ses frères, pour leur pardonner.

À propos de Grockoco

Auteur croate et transgenre

8 Commentaires

  1. Gérald

    J’aime, Mr Grockoco….

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  2. Le petit diable fondu

    Je viens m’assurer que la bête bouge encore (vous comprendrez pourquoi je choisis le français et non le crvt).
    Le vieux savant s’inquiète aussi. Je répète : le vieux savant s’inquiète aussi.

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