Dans la Rome antique, un esclave était chargé de murmurer à l’oreille du vainqueur tout au long de son triomphe : « memento mori ». Souviens toi que tu vas mourir.
Nul besoin de ce rappel aujourd’hui pour nous, européens. Nous savons que nous mourons lentement. Notre fin était évidemment inscrite en nous dès notre naissance, mais depuis que nous avons créé nous-mêmes il y a 500 ans un « nouveau monde » au delà de l’océan, nous avons pris définitivement conscience d’être l’ancien, donc le finissant.
Dans quelques siècles -mais que sont quelques siècles à l’échelle de l’histoire de l’humanité-, quand tous les océans, toutes les montagnes et toutes les frontières auront été franchis, de nouveaux émigrants quitteront peut être le nouveau monde devenu vieux à son tour, pour aborder d’autres rivages, au delà du ciel cette fois. Quant au nouveau monde actuel, il a commencé à vieillir, lui aussi. Pourquoi en effet voudrait-il redevenir « great again » s’il n’avait déjà perdu de sa superbe ?
Nous serons morts depuis longtemps, et nos cathédrales auront été recyclées ou conservées à l’état de ruines étranges et vides comme les pyramides des pharaons, quand de nouveaux troupeaux humains s’envoleront pleins d’espoir dans une aventure toujours incertaine vers de nouvelles Terres.
La question pour chacun d’entre nous et pour notre vieille civilisation n’est donc pas de savoir si nous allons mourir, cela au moins est certain, mais comment nous allons mourir.
Notre temps nous dispose à mourir sans douleur s’il vous plaît. Et à laisser faire pour cela ce qu’on voudra de nous.
Nous ne désirons plus rien d’autre en attendant notre fin que des biens et du spectacle, comme nos ancêtres romains, et comme tous les peuples repus au fil des siècles. Au point que les océans et même le ciel sont encombrés de nos déchets. L’accumulation infinie et obscène de biens c’est notre moyen de destruction massive lente.
Quant au spectacle, le plus irrésistible semble toujours le même aussi depuis la nuit des temps. Le seul capable de nous faire ralentir et tourner la tête au bord des routes, celui qui nous colle aux écrans poisseux, le spectacle du sang et du sexe. C’est en lui que se trouvent concentrés aujourd’hui tout notre désir et toute notre haine.
Nous ne sommes plus des combattants mais des spectateurs de combats d’autant plus grandioses et plus sanglants que nous ne devons pas y participer directement. Ce que nous avons perdu en courage, nous l’avons gagné en méchanceté et en indifférence, et pourvu que le spectacle en vaille la peine, nous mettrons un jour en oeuvre les moyens de destruction massive rapide dont nous disposons. Nous ne mourrons pas seuls.
Il suffira pour cela que le « réarmement moral » qui est en cours nous veuille absoudre…
Benoît.