Lundi soir au THP de Krk, sa ville natale, Monsieur Grockoco donnait sa nouvelle pièce sobrement intitulée Déclaration d’amour, dernier opus de « la grosse crvat de Bruxelles » comme se définit lui-même cet auteur-metteur en scène transgenre et croate à l’univers si particulier.
Loin des douces-amères chroniques parisiennes de la vie provinciale, loin tout autant des profondeurs superficielles d’un Wilson que des grandiloquences mondialistes d’un Dragone, Monsieur Grockoco réussit à nous charmer par la truculence shaekespearo-jarryenne de sa mise en scène et de ses personnages.
L’avtar (en croate, croate se dit crvat et auteur se dit avtar), par une mécanique implacable et inspirée, fait tomber les casques dans un terrifiant effeuillage moral tout autant que métaphysique, abandonnant à l’épilogue ses pathétiques personnages à leur solitude hallucinée.
Et pourtant on rit beaucoup.
C’est tout l’art de la grosse crvat de Bruxelles de nous donner à rire des choses graves, et des choses légères nous donner à penser.
Le maître du nmbrlsm rdcl (nombrilisme radical en crvat) poursuit sa quête de l’innommable objet qui viendrait combler son manque, sans jamais -heureusement- y parvenir (…).
Ce manque, dont le nmbrl (nombril en crvat) énorme qui affuble ses personnages en plein front est la métaphore parfaite, conduit le pathétique héros de la pièce à chercher l’amour auprès de ceux que l’avtar nomme, par un néologisme idiomatique lourd de signifiance, des bkrs (bicoeurs en crvat).
Sorte de Sancho pansu sans dieu ni maître, ici aporétiquement exaspérant de vouloir être drôle, là positivement horripilant de prétention lexicale, mal lui prend d’offrir sa poisseuse affection à une troupe de fous âniers priapiques (fn prpk en crvat) dont les crânes (sépulcrales reliques de cerveaux évaporés à la crépusculaire agonie de la Raison, disait Malraux) distillent leur inquiétante étrangeté en d’affreux postborygmes. Fck jps nd bsnrs chante le choeur antique en anglo-crvat.
Nul besoin de traduction, on est bouleversifié.
On ne déflorera pas le plaisir de découvrir cet admirable spectacle en révélant qu’au contraire d’une certaine princesse, notre Sancho en se couvrant d’une peau d’âne espérera gagner l’amour des bkrs prpks au lieu de perdre celui de son pr.
Courez au THP de Krk si vous passez par là pour voir la Déclaration d’amour de Monsieur Grockoco, c’est un pur enchantement pour les yeux, les oreilles, l’âme et la selle, les fauteuils étant excellents